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Peut-on ancrer la culture sport dans nos organisations en France ?

42%  ! C’est le pourcentage de Français qui déclarent ne jamais faire de sport  (1)

Un taux relativement élevé dont les raisons avancées par les principaux intéressés demeurent le manque de temps ou le manque de motivation. Ne faudrait-il pas aller chercher un peu plus loin derrière cette donnée ? La France est-elle réellement un pays de sport ? Quelle est la place de celui-ci dans notre culture, dans notre vie de tous les jours ?
 


LE SPORT, UNE PART IMPORTANTE DE LA CULTURE … A L’ETRANGER


D’après ce même baromètre européen, 55% des Français disent faire du sport pour leur santé ou leur forme.
Un concitoyen sur deux seulement a donc une relation particulière avec l’activité sportive : le sport ne semble pas ancré dans notre culture alors qu’il l’est dans d’autres pays, notamment anglo-saxons.

Pourquoi ? Vincent Prolongeau, ancien DG France de PepsiCo, connaît bien le système anglo-saxon. Il explique ainsi le retard pris par la France (2). « Par rapport aux Etats-Unis, on a clairement un temps de retard parce que c’est institutionnellement plus établi. Ils l’ont inscrit dans leur éducation, dans leur système éducatif. Là-bas, on peut briller par ses performances sportives et non pas exclusivement par ses études. »

Un challenge qu’a relevé Lisa Santoro, responsable du Centre de Support des Offres chez Dassault Aviation, en bénéficiant en 2006 d’une « bourse d’athlète », lui permettant de financer son Master of Sciences in Business Administration, tout en défendant, au sein de l’équipe de tennis, les couleurs de l’Université qui l’accueillait. « Certes, il existe en France de nombreuses structures « sport-études » en collèges et lycées, mais de telles structures post-bac se font très rares et surtout, elles sont loin d’offrir les mêmes avantages que les structures américaines. Il m’aurait été très difficile en France d’effectuer, à la fois une formation universitaire de qualité, et de pratiquer le tennis en compétition à un rythme aussi soutenu ».

Lisa Santoro, classée 2/6 à l’époque, a parfaitement vécu son expérience, profitant d’un encadrement sportif complet mais également d’un emploi du temps adapté, de cours mis en ligne, et d’une coordination intelligente entre les enseignants et les coachs sportifs. Les campus américains, très développés par rapport à leurs homologues français, et assimilables à de « vraie villes », favorisent ainsi la double vie des étudiants. « De nombreux emplois étudiants sont proposés au sein du campus, et la plupart de ceux qui souhaitent travailler pendant leurs études trouvent facilement une activité au sein de l’université. Ce système à l’américaine est une énorme machine, qui investit largement pour attirer toujours plus de jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études supérieures en menant en parallèle une vie étudiante réussie sur le plan social et scolaire, tout en s’épanouissant dans leur sport de prédilection ». 

Les pays asiatiques ou anglo-saxons, la Russie ou encore la Chine confèrent ainsi au sport une notion de performance pure et de très haut niveau qu’ils véhiculent très tôt, parfois trop, chez leurs jeunes athlètes, allant même jusqu’à les diriger dans le choix de leur discipline. L’ancien gymnaste russe Dimitri Karbanenko, qui a vécu en France dans les années 1990, témoignait, avec une forte conviction dans le journal Le Monde (3) : « La réussite sportive passe avant tout par le travail, sans forcément cette notion de plaisir. Et ça, on a du mal à le comprendre en France, explique-t-il. Le système est plutôt bon, mais souvent, ils n’ont pas cette ‘gnaque’. D’ailleurs, c’est symptomatique : quand en Russie ou au Japon, on parlera ‘d’efforts’ pour atteindre la performance, un Français parlera de ‘sacrifices’. »


UN RETARD FRANÇAIS … RATTRAPABLE ?


Cette analyse tranchée de Dimitri Karbanenko est à relativiser mais faut-il voir ce retard palpable comme la conséquence même de la vision que nous avons du sport en France ?

Dans la culture française, le sport est rarement un objectif en soi, il est beaucoup plus pratiqué comme un loisir. Les Français aiment regarder le sport, même si certaines études montrent que nous consommons bien moins d’actualité sportive que certains pays voisins comme l’Espagne ou l’Italie. En mettant des distances avec le monde de la compétition les jeunes ont tendance à privilégier la découverte de plusieurs activités sportives plutôt que de se concentrer sur la pratique exclusive d’un sport.

Ce désengagement dans l’exercice s’effectue au profit des écrans et de la passivité. Les jeunes Français délaissent l’esprit de la compétition au profit des expériences « fun » !

La France va devoir également avant tout se battre pour ne plus opposer le plaisir et la performance, deux termes qui s’affrontent suivant deux courants de pensée.

Pays des Droits de l’Homme, elle a longtemps favorisé le sport pour tous, souvent comme un passe-temps et désormais dans des politiques de santé publique ou d’aménagement du territoire (pistes cyclables…). Elle s’attache également à l’heure actuelle à promouvoir la reconversion des sportifs de haut niveau, comme pour signifier aux nouvelles générations que la voie du sport ne nécessite plus de faire une croix sur celles des études classiques.

L’Etat semble ainsi suivre les lignes directrices de la Commission Européenne visant à empêcher que 30% des jeunes entre 10 et 17 ans n’abandonnent le sport chaque année par faute de temps. L’idée d’un « double projet » qui s’appuie à la fois sur l’excellence sportive et la réussite scolaire semble avoir fait son chemin de Bruxelles à Paris. Une idée qui pourrait ravir les étudiants désireux d’avoir la même chance que Lisa Santoro. « Le système scolaire français n’a rien à envier au système américain, mais il est vrai que les formules de sport-études aux USA restent incomparables. Pour que la France atteigne un jour ce niveau d’organisation, il faudra je pense qu’elle s’en donne réellement les moyens, et au-delà d’une réelle volonté politique d’abord, il sera nécessaire aussi de réfléchir aux nombreux moyens de financement qui permettront de mettre en place de telles structures. »

L’enveloppe budgétaire d’un peu plus d’un milliard d’euros mise à la disposition du Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports en 2016 est-elle en adéquation avec les envies gouvernementales de promouvoir le sport, alors que celle de la culture est sept fois plus importante ? La candidature de Paris depuis plus d’une décennie témoigne-t-elle d’un réel investissement dans cette politique de développement sportif ? Le Centre d’analyse stratégique (CAS), rebaptisé France Stratégies en 2013 et placé sous la coupole du Premier Ministre, a ainsi proposé quelques pistes d’amélioration de la pratique du sport (4) :

  1. Garantir la possibilité de pratique sportive pendant les heures de travail, notamment avec l’appui du CNOSF, du Ministère des Sports et du MEDEF.
  2. Réduire le temps de pratique entre les femmes et les hommes en balayant l’idée que le sport serait inhérent à la construction identitaires et physique des garçons, surtout à partir de l’adolescence.
  3. Sensibiliser les classes populaires, moins sportives que les autres.
  4. Aménager l’espace public urbain et rural (parcours de marche et de jogging, multiplication des pistes cyclables) et l’accessibilité des infrastructures sportives.

Malgré les 320 298 équipements sportifs répartis sur l’ensemble de sa surface, la France manque en effet cruellement d’équipements adaptés à la pratique du sport, surtout après le lycée. Non seulement, le sport devient une option dans le sens premier du terme dans l’esprit des étudiants à la sortie du bac, mais son exercice n’est pas non plus facilité. Les équipements sportifs appartiennent le plus souvent aux collectivités qui aménagent les plages horaires, faisant de nombreux mécontents chez les diverses associations qui se multiplient. Ne parlons même pas des entreprises qui demanderaient des créneaux pour permettre à leurs collaborateurs d’effectuer une activité sportive !


L’ENTREPRISE, PRÊTE A PALLIER CE DÉFICIT ?


Quel rôle devrait ainsi jouer l’entreprise dans la pratique sportive de ses collaborateurs ? Est-ce à elle de rattraper les déficits en matière de sport à l’école et dans les établissements supérieurs ? Est-ce à elle d’aller « inculquer » les valeurs et enseignements du sport tels que « le dépassement de soi », la « confiance », le « courage », le « respect », l’ « esprit d’équipe » … A l’heure où le Sport Business règne et où parallèlement certaines dérives comme le dopage, les paris truqués, ternissent l’image du sport en lui-même, l’entreprise a-t-elle les ressources nécessaires pour s’impliquer et proposer une ou plusieurs alternatives à ses collaborateurs ?

« En aucun cas, il ne faut se dissimuler derrière l’Etat pour freiner les initiatives individuelles. Les entreprises ont largement de quoi en France mettre en place une culture du sport et une culture de l’activité sportive ! ». Vincent Prolongeau en reste convaincu ; l’entreprise au sens large et l’entrepreneur dans une mesure particulière a de quoi jouer un rôle actif dans l’instauration du sport dans la culture en France. « Il n’y a pas à rougir : la France a une culture du corps sain assez développée liée aussi à notre mode d’alimentation et les pouvoirs publics ont également développé un nombre d’infrastructures et autresCertes, à l’école, il n’y a pas le temps dédié au sport qu’il y a en Allemagne ou en Angleterre, ça c’est une réalité absolue, mais il y a moyen dans le monde de l’entreprise quand même de compenser cela et d’avoir une base pour construire de manière très efficace », assène le dirigeant.

Avant toute chose, il faudra dissiper certaines peurs persistantes dans les têtes bien pensantes des dirigeants et principalement celle de la blessure, pouvant provoquer l’indisponibilité de travail du collaborateur. Il serait peut-être temps qu’une étude s’attache à montrer que la pratique régulière d’une activité physique évite justement que certains collaborateurs ne se blessent. Autre frein avancé, celui de l’efficacité des salariés. Un collaborateur bien dans son corps et bien dans sa tête (une obligation dans le Code du Travail) sera d’autant plus performant, augmentant bien entendu la performance de l’entreprise. Enfin, le manque de place dans les locaux constitue un argument, néanmoins discutable, puisque l’installation de douches ne demande pas un effort financier important.

Cela nécessite également pour l’entreprise de penser à combler l’écart de culture sportive entre l’entité et le collaborateur mais également entre les collaborateurs eux-mêmes. L’entreprise doit obligatoirement adapter son offre en fonction de ses activités mêmes et du profil de ses salariés, notamment les séniors. Quoi de mieux que de s’appuyer alors sur ses collaborateurs sportifs pour réfléchir à des projets fédérateurs et plus globaux avec des aménagements des horaires d’activité physique et salariée. L’histoire du sport dans l’entreprise démontre une évolution certaine de ces changements de mœurs. Du simple sport corporatif, en passant par le sponsoring et les tendances du sport santé bien-être via les expériences de running, le sport est de plus en plus présent en entreprise.

Vincent Prolongeau est convaincu qu’à terme, les entreprises internationales permettront la diffusion d’une culture plus sportive, comme en démontre le pourcentage de salariés (17%) pratiquant un sport sur leur lieu de travail (5). « Je ne crois pas que l’état d’esprit français soit un frein rédhibitoire, absolument pas : il y a des multinationales qui empruntent ces cultures d’entreprise à ce qui se pratiquent dans leurs filiales, mais il y a aussi des tas d’entreprises qui se calquent sur des initiatives qui ont lieu dans d’autres boîtes pour mettre en avant une culture de la pratique sportive. D’ailleurs, cela devient culturellement inacceptable de ne pas faire de sport. » Une pratique qui s’inscrit d’ailleurs de plus en plus dans la RSE.

A l’image de Lisa Santoro, beaucoup d’étudiants profitent aussi désormais de bourses d’études à l’étranger et d’une année de césure ; l’apprentissage d’une seconde langue en est le principal objectif ; l’appropriation d’autres codes culturels et du sport en particulier en découle. A terme, cette ouverture devrait ainsi profiter aux entreprises et à leurs collaborateurs, désireux de partager entre eux et de relever les challenges que peuvent leur proposer celles-ci. Et si changer les mentalités demande du temps, changer la culture en demande sûrement autant : et l’entreprise pourrait bien, avec l’aide des pouvoirs publics, accélérer ce processus.


Références
(1) Eurobaromètre 2013 (+8% depuis 2009) : Ce chiffre en augmentation touché principalement les demandeurs d’emploi, les retraités, les ouvriers et les femmes (et hommes) au foyer (chiffre le plus élevé : 65%)
(2) Vincent Prolongeau, 22/06/2015 : Intervention Rencontres Sport & Entreprises – 22 juin 2015
(3)   Le Monde, 11/07/2012 : La France est-elle un pays de sport de très haut niveau ?
(4)  France Stratégique, 31/03/2014 : La pratique sportive des Français en baisse : quelles pistes d’action ?
(5)  Eurobaromètre 2013 (13% en 2009)