L’art en entreprise : une réponse à la libération des énergies et talents ?

Les œuvres d’Art ne s’accrochent plus seulement sur les murs des musées publics ou privés. Les entreprises, de toutes tailles, acquièrent désormais des œuvres de nouveaux maîtres. De la simple exposition à la mise en place d’une résidence d’artiste, les entreprises développent leur image innovante et créative, repoussant à la fois les limites des créateurs et les regards extérieurs des personnes dubitatives sur l’association de deux mondes bien différents.

 


UNE VOLONTÉ DE L’ÉTAT


art en entreprise

Cela ne date pas d’hier ! L’entreprise a toujours flirté avec le monde artistique, surtout dans certains secteurs comme l’automobile ou le luxe. En faisant appel, par exemple, à un créateur pour dessiner une gamme ou redesigner un logo. De nombreux dirigeants d’entreprise, mécènes ou inspirés, ont acquis des œuvres pour les mettre plus ou moins à disposition de leurs collaborateurs, à l’image de la Société Générale, dont le patrimoine artistique est monumental. Exemple de la fibre culturelle de l’enseigne bancaire, la formation interne proposée à 250 choristes et instrumentistes provenant de tous niveaux hiérarchiques ; après dix mois de répétition avec l’ensemble « Les Siècles », ces derniers se sont produits dans la salle Pleyel.

L’état appuie désormais cette synergie. L’ancienne Ministre de la Culture et la Communication, Aurélie Filipetti, s’était déclarée favorable en 2014 à l’exposition d’œuvres issues des collections publiques dans les entreprises privées. Aux opposants arguant que cette initiative pouvait diminuer les recettes des musées de plus en plus désertés, répondaient alors de l’autre, les personnes favorables à l’idée de développer l’attrait pour l’art et d’indirectement faire revenir des visiteurs dans ces musées.

ERDF avait ainsi pris la balle au bond en signant une convention avec le Ministère de la Culture autour du patrimoine national il y a quelques années. En poursuivant ses engagements, ERDF a exposé quatre œuvres contemporaines dans les locaux de son Pôle de Mérignac. Ses salariés, ainsi que les personnels des Industries Électriques et Gazières (IEG) y ont eu accès lors d’un vernissage en présence d’élus locaux et de personnalités. Une réussite pour l’entreprise énergétique qui se voulait avant-gardiste dans le domaine.

Si la question de savoir si les biens privés peuvent bénéficier aux entreprises privées peut légitimement être posée, on peut se focaliser sur l’idée que l’entreprise accueille les œuvres d’artistes plus globalement. Accueillir des œuvres est une bonne idée mais permettre aux collaborateurs de l’entreprise d’échanger et de partager avec les artistes qui les ont composées semble bien plus profitable.

Yannick Revel, dirigeant de « Get Arty », propose aux particuliers et aux entreprises d’accueillir des toiles d’artistes. Sa clientèle se compose essentiellement de particuliers mais certains entrepreneurs lui ouvrent désormais leurs portes : « J’organise quelques événements dans des lieux privés, des restaurants, des boutiques mais cela reste dans des petites structures, surtout chez des libéraux qui ont envie de communiquer et dans un souci relationnel », dit-il en citant l’exemple d’un cabinet d’avocats qui souhaite faire du « business en dehors du business. Pour le moment, l’axe qui marche le mieux, c’est l’aspect relationnel. Dans ma région, les dirigeants qui veulent inviter des clients ou des collaborateurs le font encore sur des événements de rugby ou des incentives auprès du golf avec des journées de découverte. » Prochainement, Yannick Revel va développer une initiative originale avec une agence immobilière, une exposition dans des maisons en vente.

 


LES ARTISTES DANS L’ENTREPRISE


Les principaux arguments avancés par le Bayonnais pour emmener l’art dans l’entreprise, – l’aspect de l’image moderne que cela renvoie, les débats que cela peut susciter entre les salariés ou encore le bien-être amené aux employés -, ne trouvent pas encore d’écho auprès des entrepreneurs de la région. « Je n’ai pas encore trouvé l’oreille attentive qui permettrait d’entretenir la culture dans l’entreprise », regrette l’amateur d’art. Car au-delà de l’image que cela apporte à l’entreprise et l’éventuel business qui peut se créer grâce à cet attrait (soudain) pour l’art, il convient de se focaliser sur ce que peuvent en retirer les collaborateurs.

L’entreprise Giraud, basée en Charente, a ouvert récemment ses portes afin de faire découvrir son savoir-faire. A cette occasion, un artiste bordelais, Laurent Maero, est venu utiliser les chutes de métal pour réaliser des sculptures. On pourrait aussi citer l’exemple des Laboratoires Boiron, qui ont créé, il y a 20 ans, le poste de « maîtresse de maison », dont l’une des missions est de veiller au bien-être et au cadre de vie des salariés, en favorisant notamment l’art dans l’Entreprise. Les collaborateurs peuvent régulièrement rencontrer des artistes et certains ont ainsi réalisé une fresque pour habiller leur lieu de travail.

C’est également ce qu’ont réalisé les invités et les collaborateurs de l’entreprise Soplami avec un graffeur pour l’inauguration de leurs nouveaux locaux en 2011 et qui est y toujours affichée. Eric Castellano, le Président de l’entreprise, a ensuite accueilli des artistes sculpteurs dans son entreprise de termoformage, qui confectionne des présentoirs sur lieux de vente et des pièces pour l’aéronautique. La rencontre et les échanges avec ces sculpteurs      amateurs ont très vite débouché sur le projet de faire des sculptures à partir des déchets plastiques produits par Soplami. « Cette initiative avait deux objectifs : utiliser les déchets différemment en leur donnant une seconde vie et faire venir des gens dans l’entreprise avec une autre vision du monde industriel », raconte Eric Castellano. « La plupart des collaborateurs ont été associés : malheureusement pas tous », regrette le dirigeant. N’étant pas habitués à travailler cette matière, les artistes ont dû relever un défi et ont été accompagnés par les techniciens de l’entreprise qui les ont aidés à réaliser certaines œuvres.

« Même si tout le monde n’a pas participé à ce projet, il y a eu beaucoup d’implication chez nos collaborateurs et surtout une grande fierté de découvrir que le regard extérieur était totalement différent du nôtre ! Le regard des artistes sur notre métier, très valorisant pour nous, a été une réelle surprise pour moi », confie le dirigeant. Le pari de faire se rencontrer les mondes de l’industrie et de l’art était risqué pour Eric Castellano : « Le monde industriel n’est pas forcément sensible à l’art. Il y avait d’ailleurs un décalage à la base lorsque le projet a été évoqué » mais l’initiative a cependant permis d’améliorer les lieux et donner un peu plus de bien-être aux collaborateurs.

 


LAISSER UNE TRACE DANS L’ENTREPRISE


AXA France a créé une association « Talents En Mouvement » en 2009 : chacun peut y exprimer ses dons artistiques, partager ses goûts pour la peinture, le théâtre ou encore la musique. Valérie Moati, une collaboratrice sensible à l’univers artistique, préside l’association et assure le lien entre les collaborateurs artistes et la direction qui facilite leur expression à l’aide d’un budget de 25k€ par an. « Nous avons eu le soutien des dirigeants qui ont très rapidement adhéré au projet et ont été impressionnés par la qualité des différents événements organisés par TEM », se réjouit la présidente. « Notre volonté était d’aller au-delà du One-shot et d’inscrire l’association dans l’ADN d’AXA ».

Nb: L’association vient de remporter la médaille d’or dans la catégorie Bien-être au Travail lors de la 4ème Nuit de la RSE, le lundi 27 novembre 2016.

 

« Le plus dur au départ a été de convaincre les collaborateurs de participer, en exposant ou en jouant, car beaucoup ne souhaitaient pas ou n’osaient pas mélanger vie privée et vie professionnelle. Mais depuis que cette aventure humaine a commencé, plusieurs événements artistiques ont transformé notre entreprise et enclenché une dynamique créative permettant de nombreux échanges et de belles rencontres », explique Valérie Moati.
 

Les collaborateurs qui osent se mettre en scène ont un engagement plus fort : leur travail est ainsi récompensé « puisqu’une ou deux œuvres de l’artiste sont gardées et exposées dans des endroits stratégiques de l’entreprise », confie la présidente de l’association. Une façon pour chaque exposant de laisser une trace indélébile et de faire partie du patrimoine dans l’entreprise. Expositions, concerts, défilés de mode, exposition itinérante sont organisés une fois par mois, sous l’égide de l’association. Un concours est organisé (« les To’TEM de la création ») qui permet aux collaborateurs artistes de vivre encore plus leur passion. Ainsi, un lauréat est allé jouer sa pièce de théâtre dans une université américaine. Une collaboratrice passionnée de couture a pu de son côté prendre des cours de stylisme et réaliser un défilé de ses créations, avec comme mannequins des salariées volontaires de l’entreprise. « Même s’il est difficile de mesurer les retours des collaborateurs, ces initiatives sont très appréciées et contribuent directement au bien-être au travail et également au sentiment d’appartenance. Nous avons vécu beaucoup de concerts où les gens étaient émus. Certains collaborateurs achètent les œuvres des expositions. Le planning des prochaines expositions est bien rempli et la régularité des événements incite de plus en plus de collaborateurs à faire appel à l’association pour les aider dans le développement de leur projet », reconnaît Valérie Moati.

D’autres projets artistiques sont à l’étude du côté d’AXA avec comme objectifs d’apporter une bouffée d’oxygène dans le quotidien des collaborateurs, de remettre l’humain au cœur de l’entreprise et de favoriser l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Un portail collaboratif, qui sert de mémoire également, permet à chaque entité du groupe de communiquer et de vivre les différents événements. AXA souhaite dans un futur proche développer ces initiatives dans ses filiales à l’étranger. « Notre vivier est immense car tous les talents artistiques peuvent être exprimés », admet la « chef d’orchestre ».

Une vision de la vie en entreprise partagée chez PepsiCo France. Outre le développement du sport dans l’entreprise, le groupe alimentaire a mis en place l’opération « One simple thing » au cours de laquelle chaque collaborateur peut choisir un objet de développement personnel. Dans cette optique, l’entreprise organise des conférences artistiques et permet à ses collaborateurs de développer un loisir artistique. Vincent Prolongeau, ancien DG de PepsiCo France, soulignait en juin 2015 (1) : « Le sport est un moyen d’équilibrer les personnes, que les gens se connaissent plus et se respectent plus et la dimension artistique a autant de place que la dimension sportive. D’autant que pour le premier, le risque de dérive vers la performance existe alors que l’art permet de relativiser. » Le sport remplaçant, l’art titulaire, peu importe la composition, du moment que les collaborateurs aient la possibilité d’exprimer leur(s) talent(s) !

 


REFERENCES
1. Rencontre Sport & Entreprises du 22/06/2015